Garmonbozia (automne-hiver 2020)
Du haut de ses vingt-deux ans, l’association Garmonbozia est un des piliers de la scène Metal en France. Avec plus de 1000 concerts à son actif (et autant en coréalisation avec d’autres organisateurs ou salles), elle a su trouver sa place dans un secteur pourtant très concurrentiel. Qu’est-ce qui explique une telle réussite ? Comment son fondateur a-t-il pu tenir la barre quasi seul pendant quinze ans ?
Toutes les histoires ont un élément déclencheur. Un déclic qui fait qu’à un moment donné, on décide de prendre un chemin plutôt qu’un autre. Pour Fred Chouesne, il faut remonter au 13 février 1998. À cette époque, Garmonbozia n’existe même pas à l’état d’ébauche. Il est alors étudiant en BTS et décide de monter un concert comme projet de fin de diplôme : « ça se passait aux Tontons Flingueurs (ancien caf’ conc’ emblématique à Rennes) et la tête d’affiche était Enthroned, un groupe Belge. C’était complet et ça m’a motivé pour continuer. » Un début prometteur… et David Mancilla comme parrain de la soirée. Pour ceux qui ne connaissent pas le monsieur, il fut pendant un temps un acteur local très actif : guitariste chez Stormcore, créateur du fanzine Hardside Report, fondateur du label Overcome records, tourneur et organisateur de concert… David M. a fait de Rennes la capitale du Hardcore dans la décennie 90 : le Superbowl of Hardcore (à l’origine) c’est lui, les shows avec des pointures internationales (c’est lui aussi). De cette période, il reste quelques interviews (sur fanzine papier) mais sa passion, on la retrouve surtout chez tous ces gens qui continuent à faire vivre les musiques extrêmes à Rennes. Fred Chouesne est de ceux là et il ira même plus loin… Après un premier concert réussi, il crée son asso sous le nom de Heic Noenum Pax (qu’il changera par la suite pour Garmonbozia) : « j’avais un boulot qui n’était pas dans la musique et j’organisais 3 à 4 concerts par an. Je programmais surtout du Black et du Death Metal. Il faut dire qu’il y avait peu de structures organisatrices dans l’Ouest et je voulais qu’on puisse faire venir quelques groupes internationaux à Rennes. J’ai contacté directement des labels et des tourneurs comme Metallysee (qui avait fait venir en Europe notamment Slayer et Sepultura). C’est comme ça que j’ai commencé à créer des contacts.» Marduk, Cannibal Corpse, Morbid Angel, Obituary, Mayhem (pour leur première venue en France), Immortal, Dissection, Satyricon, Enslaved… Fred accueille de grosses formations : « je suis un fan avant tout. J’ai fait venir des groupes que je rêvais de voir jouer. Il y a eu bien plus tard les musiciens des Doors au Liberté et c’est un énorme souvenir d’avoir pu les rencontrer. Magma aussi, qu’on invite tous les 3-4 ans en moyenne, depuis 2000. Gong, Opeth… Il y en a d’autres mais on essaie toujours de laisser une place aux groupes locaux suivant les possibilités. » Parmi eux, on retiendra Stormcore (reformé pour les 15 ans de Garmonbozia en 2013) mais aussi Voight Kampff et Darkseid. L’asso co-organise même en 2018 la première soirée I’m From Rennes dédiée au Metal.
Production de concerts, booking, organisation et supervision de tournées… Garmonbozia investit principalement des salles à Rennes (Antipode, Ubu, Étage, Liberté…), Nantes (Stereolux, Ferrailleur…) et Paris (Petit Bain, Trianon, Olympia, Bataclan, Élysée Montmartre, La Machine / ex Locomotive…) : « les groupes hors Metal qu’on présente sont des formations que je connais bien mais on reste surtout sollicité pour des concerts Metal. On n’a pas forcément le même réseau en terme de promotion pour couvrir d’autres courants musicaux, le public s’y retrouve peut-être moins également. » Fred place aussi des groupes et des plateaux pour les festivals comme le Sylak, le Fall of Summer, le Motocultor et le Hellfest : « on se connaît depuis le début avec Ben Barbaud (fondateur du Hellfest). On lui avait proposé des groupes Metal pour diversifier sa programmation dès le FuryFest, on avait également participé au financement de la seconde édition du Hellfest. On se soutient, surtout en ce moment avec la pandémie. »
Les années défilent et Garmonbozia devient un acteur indispensable de la scène Metal dans l’hexagone mais rester sous le statut associatif est un vrai choix : « l’association est régie par les principes généraux de la loi 1901 donc l’asso n’a pas de but lucratif. Ce n’est de toute manière pas à proprement parler une activité très rentable ! Nous essayons chaque année d’avoir des comptes équilibrés tout en rémunérant les postes qui doivent l’être. » Et le boulot ne manque pas ! Bien au contraire : « jusqu’à une certaine période, je faisais tout seul et je prenais du retard au niveau administratif. » Aux bénévoles, deux salariés viennent seconder Fred. Clément arrive début 2020 pour la gestion de la billetterie mais Lorène intègre l’équipe bien avant : «en 2013 » précise-t-elle. « Au début, j’étais bénévole et Fred m’a appris le métier. » Présentatrice de l’émission La Crypte sur Canal B, elle n’est pas une novice dans le milieu du Metal : « oui mais je n‘étais pas du tout Black. J’ai un peu changé depuis que je bosse chez Garmonbozia. » Mais au fait, à quoi ressemble le métier quand on passe de l’autre côté du miroir ? « On voit moins de concert ! On est occupé toute la soirée, on a plus le temps ! », ironise-t-elle. « Non, plus sérieusement, au quotidien, on échange beaucoup. On a des contacts privilégiés dans chaque pays. Je parle Allemand et on a pas mal de tourneurs basés en Allemagne. En fait, on achète des plateaux : c’est le tourneur principal qui monte les affiches. Parfois, ils nous laissent la possibilité d’ajouter un groupe de notre choix en première partie mais ça devient de plus en plus rare alors que c’était systématique il y a une dizaine d’années. » Fred enchaîne : « oui, on bosse principalement avec des tourneurs étrangers. On passe beaucoup de temps à parler et à échanger par mail en Anglais. Pratiquement tout se passe sur Internet et sur les réseaux sociaux. » L’équipe continue de faire ses propres plateaux à l’occasion de l’anniversaire de Garmonbozia, un rendez-vous devenu régulier à Rennes. Idem quand ils mettent à l’honneur des groupes comme Magma qui aurait dû jouer à l’Opéra en octobre 2020 : « on a été obligés de reporter ces deux soirées à 2021. On avait vendu les billets et les nouvelles restrictions nous imposaient de diminuer encore la jauge. C’était difficilement tenable financièrement et il n’était pas question de voir ces concerts évènements (50 ans du groupe) au rabais. » explique Fred. La Covid 19… La pandémie dure et bouleverse tout. Impossible de savoir si les concerts pourront reprendre dans quelques mois, un an ou plus : « oui, on passe notre temps à annuler ou à reporter. Ce n’est pas simple. Depuis mars, on dû faire 80 reports ou annulations. On avait pu maintenir qu’une seule date et il n’y aura sans doute pas de reprise avant le second semestre 2021. Après, on a la chance d’avoir un public fidèle. On a reçu beaucoup de messages pendant le confinement. Les gens proposent d’acheter des billets à l’avance directement auprès de nous et même de faire une cagnotte. »
En un peu plus de vingt ans, Garmonbozia est devenu un gage de qualité. Le public répond présent : « oh ! On a aussi connu des soirées difficiles ! » s’exclame Fred avec beaucoup de franchise. Sans doute mais il est bon de savoir que des organisateurs prennent encore des risques dans leur programmation. Les concerts d’Alice Cooper au Liberté et de Brant Bjork à l’Ubu n’étaient peut-être pas complets mais ceux qui ont pu y assister ne l’oublieront pas de si tôt. Idem pour tous ces artistes locaux qu’ils soutiennent depuis des années et qui ont pu monter sur des scènes comme le Hellfest.
Transparence, simplicité… et une ligne de conduite irréprochable… c’est un peu tout ça Garmonbozia ? Ah, c’est sans compter la passion… Sans elle, Fred Chouesne ne se serait sûrement pas engagé sur ce chemin. Les Doors, Depeche Mode, King Crimson, Pink Floyd, Magma, Dead Can Dance, John Coltrane, Miles Davis, Klaus Schulze… les groupes qui l’accompagnent au quotidien ne sont pas forcément Metal mais en live, il sait faire la part belle aux musiques extrêmes. Garmonbozia est paraît-il la nourriture des Dieux dans Twin Peaks… Une idée pleine de promesses… pour un public qui attend que sonne à nouveau l’heure des concerts.
Caroline Vannier
Sur le Web :
https://fr-fr.facebook.com/Garmonbozia.Inc