Border (2018) : Ali Abbasi
Pour ne pas trahir Border, il faut passer sous silence une bonne partie du film. Le spectateur doit découvrir par lui-même ce qui fait la force de cette histoire hors norme… mais même en taisant des éléments clés, il y a beaucoup à dire… à commencer par le scénario.
Sur le papier, Border, c’est une ligne narrative riche et créative. Rien d’étonnant quand on sait que le long métrage prend sa source dans la nouvelle Gräns tirée du recueil Låt de gamla drömmarna dö de John Ajvide Lindqvist. L’auteur n’est d’ailleurs pas un inconnu dans le monde du cinéma : son livre Laisse-moi entrer (Låt den rätte komma) a été adapté en 2008 sous le titre Morse par Tomas Alfredson : une fresque sociale sur le thématique des vampires qui est devenue une véritable référence dans le domaine. Mais revenons à Border… Sur ce projet, l’écrivain va plus loin : il ne se contente pas de céder les droits mais devient co-scénariste aux côtés du réalisateur Ali Abbasi. Un travail à quatre mains qui aborde le récit sous un angle différent : « je voulais être dans la tête de Tina [ l’héroïne ] –, voir le monde de son point de vue » précise le metteur en scène.
Ali Abbasi a peu de films à son actif mais il sait ce qu’il veut. Morse a marqué un tournant dans le cinéma Suédois et il est convaincu que, trop s’en inspirer, ruinerait son projet : « pour éviter de tourner un Morse II, il me fallait construire son opposé. Au lieu de styliser le monde à l’extrême et de créer une certaine distance, je voulais fabriquer un film presque réaliste. » Pari réussi ! Border est inclassable… Une histoire qui reprend les codes du fantastique mais clairement ancrée dans la société d’aujourd’hui. Un regard juste et poétique qui en dit long sur les relations entre êtres humains. Le pitch ? « Tina, douanière à l’efficacité redoutable, est connue pour son odorat extraordinaire. C’est comme si elle pouvait flairer la culpabilité d’un individu. Mais quand Vore, un homme d’apparence suspecte, passe devant elle, ses capacités sont mises à l’épreuve pour la première fois. Tina sait que Vore cache quelque chose, mais n’arrive pas à identifier quoi. Pire encore, elle ressent une étrange attirance pour lui…» Le résumé ne le précise pas mais les protagnosites ont tous deux un physique atypique… et cette ressemblance va agir comme un élément déclencheur sur Tina. Un mécanisme qui va nourrir le personnage et remonter des interrogations universelles sur la différence, le racisme et le communautarisme. Border pousse la réflexion sur notre civilisation mais ne tombe jamais dans l’analyse sociale. Sur fond d’enquête, la part de fantastique reste bien présente mais la dynamique lui est propre, presque paradoxale : « la force du film tient au fait qu’il ne s’inscrive ni dans le conte ni dans le réalisme social. Il navigue constamment entre ces deux pôles. »
L’esthétique n’est pas en reste. Tout au long du film, les dialogues s’interrompent pour laisser la part belle au silence. Un aspect contemplatif qui met en valeur la nature : « la forêt ressemble presque à un rêve. » Oui… par moment, Border est comme un songe. Une temporalité qui décrit parfaitement l’état d’esprit des personnages.
Côté costumes, le choix est là aussi déterminant pour la composition du film. À l’heure du tout numérique, exit les effets spéciaux et place à un côté complètement artisanal. Les acteurs ont joué avec un maquillage qui a nécessité, chaque jour de tournage, plusieurs heures de préparation. Une façon pour les comédiens d’être au plus proche de leurs personnages : revêtir cette seconde peau a forcément eu un impact sur les excellentes interprétations d’Eva Melander et de Eero Milonoff.
Border est une réussite. Un grain de folie dans cette grosse industrie qu’est le cinéma… Une perle d’inventivité dans un monde souvent si standardisé. Le 7ème art Suédois n’a décidément pas fini de nous étonner !
Caroline Vannier (décembre 2019)
Sources :
Bonus DVD Border, Metropolitan FilmExport
Émission Le Grand Frisson