Ubutopik

Des histoires qui se vivent

Catégorie dans Ils ont joué à Rennes (interviews)

Émilie Simon

Sous ses airs de songe éveillé, la musique d’Émilie Simon résonne comme un conte. La compositrice imagine et interprète des balades oniriques depuis vingt ans. Des récits qu’elle est capable de dire et de redessiner à volonté. Cette partition, la créatrice l’a écrite en puisant dans tout ce qui constitue le monde terrestre. Elle part des sons, en détoure les contrastes et en fait ressortir l’infiniment grand. Poétesse de génie, ES – du nom de son dernier album – raconte en mots et en notes les mouvements de la vie. Pluie, glace, vent… les éléments organiques (et même les instruments) sont décomposés, travaillés et rehaussés d’une couleur unique. Un jeu de distillation subtil qui offre une approche immersive à des morceaux emprunts de merveilleux.

La technique est parfois faiseuse de magie. Pour Émilie Simon, l’utilisation des logiciels permet d’aller plus loin dans la création. Musicienne accomplie, elle cherche à modifier le timbre des instruments pour en obtenir une texture particulière. C’est avec cette approche augmentée qu’elle revient sur scène, ce vendredi 7 avril 2023. Dans une atmosphère quasi cyberpunk, Émilie Simon apparaît seule, dans une sphère spatiale. Un clavier à portée de main et la guitare en bandoulière, elle joue une intro puis enchaîne sur Un secret. Tout comme Flowers, Blue Light, Désert… les morceaux sont connus mais ils sonnent différemment. Pendant 1h30, ESva révéler les nouveaux arrangements de son répertoire. Une relecture de son travail qui n’arrive pas par hasard : il marque un anniversaire, celui de deux décennies de carrière. Coïncidence ou pas… c’est aussi à Rennes – tout comme son premier live à l’Ubu en 2003 – qu’elle présente son projet. Après une période de résidence, elle démarre sa tournée avec deux dates à L’Aire Libre, dans le cadre du Festival Mythos. Un seule sur scène. C’est avec ce format inattendu qu’elle revient après quelques années de silence. Pour cette performance, l’artiste utilise ses machines comme des instruments à part entière : tous les changements d’ambiances se font en live. La transition sur Il pleut est, par exemple, d’une remarquable poésie… un instant suspendu qui révèle toute l’habileté de la créatrice. ES mêle les sons en direct, avec une part d’improvisation. La voix, elle, semble agir comme une ligne directrice. Un socle mélodique que la dame n’hésite pas à confronter à son fameux bras électronique qui lui apporte des effets en temps réel. Oui, le savoir-faire est impressionnant mais l’émotion l’est tout autant. Une émotion qui passe par la voix. Entre les morceaux, l’artiste s’exprime peu mais quand elle le fait, les mots sont presque chuchotés : il s’en dégage une belle proximité qui abolit les frontières entre l’artiste et son public. Côté maîtrise, Émilie Simon a sa propre signature vocale. Elle est capable d’amplitudes qui lui valent d’être comparée à des artistes telles que Kate Bush ou Björk. Mais là encore, la technique n’est rien sans une dose d’inventivité. Le concert se conclut avec Fleur de saison et Swimming… Un finish éclatant et une salle conquise ! En une soirée, la compositrice a su insuffler une autre dimension au passé… Serait-ce une façon pour elle d’entamer un nouveau cycle créatif ? Il se dit qu’elle aurait deux albums en préparation. Rien d’étonnant… pour les passionnés, le cheminement artistique est un éternel recommencement… mais ES continuera les concerts seule ?

Affronter la scène en solo demande du cran. Émilie Simon n’en manque pas mais elle ne cesse de le dire : dans les coulisses, se cache toute une équipe. Ce soir d’avril 2023, elle cite plusieurs fois le nom de Cyrille Brissot : un compagnon de route qu’elle a rencontré à l’IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique) et qui est là depuis ses débuts. C’est lui qui a créé le contrôleur, ce bras électronique qu’elle ne quitte plus. Il l’a aussi accompagné plusieurs fois en concert, en tant que musicien. De près ou de loin, Émilie Simon est entourée. Les gens qui font partie de son histoire résonnent dans sa musique : ceux qui l’accompagnent dans ses projets personnels mais aussi les réalisateurs pour qui elle a composé des bandes son. Au fil des années, sa filmographie s’est étoffée : en partie pour la France avec La Marche de l’Empereur, La Délicatesse, Quand je serai petit… mais aussi à l’international avec The Jesus Rolls et le génial John Turturro. Et puis, il y a toutes les autres rencontres. En duo, avec l’interprétation magistrale du mythique Blue Hotel aux côtés de Chris Isaak. Dans ses vidéos, sur Internet, avec des reprises – souvent au piano – d’Alain Bashung, de Wham! ou encore de Vanessa Paradis. Exploiter l’éventail des possibles tout en faisant parler ses émotions… La compositrice évoque ceux qu’elle a perdu avec Franky Knight. ES rend hommage à la vie de son compagnon : le talentueux producteur et ingénieur du son qu’était François Chevallier. Le monsieur a participé à ses albums mais il a aussi travaillé avec des groupes comme Aracade Fire et Coldplay. La musique a aussi ce pouvoir… Elle a la faculté de figer le temps pour ne pas oublier.

Émilie Simon est la créatrice d’un univers hybride tout en retenue. Elle raconte sans vraiment révéler. Oui, elle est de ceux qui laissent les portes ouvertes pour que chacun puisse imaginer ce qu’il a envie de voir. C’est une force… mais c’est surtout la marque d’une très grande artiste. Ses chansons sont des fragments de vie qui mêlent éléments organiques et émotions. Rêve ou réalité ? Peu importe. La poésie, elle, est bien là. Elle frôle le merveilleux et donne une note d’éternité à ces fresques musicales.

Caroline Vannier

Lofofora : interview de Phil Curty (basse)

Lofofora ne vieillit pas. Après plus de trente ans à écumer les scènes de France et d’ailleurs, le groupe n’a rien perdu de sa verve. Le discours est là. L’habileté aussi. Situé quelque part entre le hardcore, le punk et le metal, leur musique avance avec ce souffle qui sied si bien à cette fusion venue des années 90.

Riffs acérés, brèves envolées, ruptures diablement efficaces… Le son de Lofo a tout ce qu’il faut pour garder en éveil. Oui, l’énergie des instruments percute… mais la description serait incomplète sans évoquer l’interprétation. L’ensemble guitare, basse et batterie offre un formidable terreau aux textes de Reuno : des mots piqués à vifs qui disent l’absurdité de notre société. Envie de tuer, lames de fond, les gens,holiday in France, l’oeuf… un brun conteur, le frontman offre sa vision d’une civilisation qui va mal. Une liberté d’expression qu’il est de bon ton d’entendre… et qui ne laisse jamais place à la pensée rapide. Certes, les coups de gueules rugissent d’un live à l’autre mais l’argumentaire est référencé et réfléchi. Un franc parler qui place la musique au cœur de la société et qui inscrit d’emblée Lofo aux côtés de formations telles que Rage against the machine, Public Enemy ou les Bérurier Noir… Comme un affront aux maux de ce monde, le groupe trace sa route sans perdre ses valeurs. Mieux, il résiste et rassemble ! Le public des débuts ne les a jamais lâché. Bien au contraire. Trois décennies que cette histoire se poursuit et s’étoffe ! D’autres générations se sont greffées aux premières et il faut avouer que rares sont les déçus. Ceux qui les ont vu (et revus) clament haut et fort qu’un live de Lofo est gage de qualité. Les autres regardent avec surprise, en se disant comment ils ont pu passer à côté… Qu’est-ce qui explique une telle adhésion ? Peu présents sur Internet ou dans les médias, Lofo s’est fait une place dans les salles et les festivals. Oui, la qualité de jeu est inféniable… mais ce qui met tout le monde d’accord, ce sont les propos. Des propos qui s’accompagnent toujours d’actes forts. Le groupe propose souvent à des associations locales (ou à portée internationale comme Sea Shepherd) de les suivre en tournée pour y poser leurs stands. Ils n’hésitent pas non plus à faire des concerts de soutiens. Ils ont aussi fait le choix de travailler avec un label indépendant depuis 2005. Quand ils ont décidé d’y aller, l’aventure At(h)ome débutait pourtant à peine… Une démarche « combative et engagée » dans une structure à taille humaine qui rompt avec des années passées chez Virgin et BMG.

Les musiciens de Lofofora sont libres. Ils respectent leur public et c’est aussi pour cette raison qu’ils ne renonceront pas à leur créativité. Des reprises comme Madame Rêve (Alain Bashung) en est parfait exemple : un morceau formidablement interprété mais qui tranche avec ce qu’ils font. L’album électro-acoustique Simple appareil – sorti en 2018 – en est une autre illustration. Un projet très réussi mais qui reste éloigné des riffs énervés que proposent le groupe. Là encore, les actes prévalent plus que tout ! Le quator ne limitera pas sa démarche artistique, quitte à décevoir, quitte à vendre moins. Loin des réseaux sociaux, des plateformes et des majors, il faut croire que la musique ne se compte pas seulement en donnée économique. L’avenir serait-il dans les labels indépendants ? Quelle place accorder à l’art dans une société qui prône le plus souvent l’ultra capitalisme ? La question reste ouverte… Reuno (chant), Phil Curty (basse), Daniel Descieux (guitare), Vincent Hernault (batterie) montre qu’un autre chemin est possible. Merci messieurs. Il est bon de voir que dans un monde qui se disloque, des voix continuent de s’élever.

Entretien avec Phil Curty (basse) : interview du 20 janvier 2023 à Rennes

1 – En dehors de Lofofora, joues-tu dans d’autres groupes ?
À une époque, j’étais dans un autre groupe qui s’appelait Noxious Enjoyment. C’était à la fin des années 90 et c’est là que j’ai rencontré Daniel qui est devenu guitariste de Lofo.

2 – Combien de dates fais-tu par an ?
Au début de Lofo, on faisait 120 dates par an. Là, on est plutôt à 70/80 dates par tournée.

3 – En 2018, vous avez sorti Simple appareil. Un projet qui tranche avec ce que vous faites d’habitude. Était-ce une envie de longue date ?
On ne tient pas compte de ce que les gens veulent écouter. On s’est dit que ça serait bien de faire un album complètement électro-acoustique. C’était une façon de composer complètement différente, tout en restant fidèle à notre musique et aux textes.

4 – À l’heure des réseaux sociaux, comment communiquez-vous ?
On fait le minimum. On a un facebook mais on ne l’alimente pas tous les jours. Voilà pour les réseaux sociaux, le bouche à oreille fait la suite. On a une fan base depuis pas mal d’années. Il y a des gens qui ont lâché et qui reviennent nous voir plusieurs années après. D’autres qui n’ont jamais arrêté de suivre. La base est là.

5 – Comment composez-vous ?
On compose d’abord la zik. Reuno écoute et l’idée du thème vient au fur et à mesure. Ça reste un partage d’idées avant tout.

6 – La musique est-elle ton unique métier ?
J’ai la chance de ne faire que de la musique. Avant d’être musicien, j’ai travaillé dans l’industrie et je n’y reviendrai pas. Je ne me vois pas lâcher la basse.

7 – Toujours sur le label At(h)ome ?
On est là depuis la création du label. On a maintenant toute notre discographie chez eux. Les albums y sont tous disponibles.

8 – Quel regard portes-tu sur la musique en 2023 ? Est-ce plus dur pour les musiciens d’aujourd’hui d’en vivre ?
J’ai la chance de ne plus avoir à me poser ce genre de questions. Avec notre label et notre tourneur (depuis 15 ans), on est bien entourés. Je trouve qu’aujourd’hui, il y a plus de facilité pour enregistrer. On peut le faire de chez soi avec un minimum de matériel. A notre époque, c’était plus compliqué ! C’est aussi plus simple de se faire connaître mais il y a du monde. Beaucoup de monde ! Des bons groupes, il y en a énormément et il faut savoir faire la différence pour intégrer un label.

9 – Qu’est-ce qui fait que la passion est toujours là ?
La première des choses, c’est de faire de la musique avec des potes, avec des gens que tu apprécies et avec qui tu as envie de partager.

10 – À quelle fréquence joues-tu ?
J’ai besoin de jouer presque tous les jours. Je branche la basse le matin sur le PC et je joue presque toute la journée. Je fais des pause, je reprends, j’enregistre… En tournée, c’est différent. On joue régulièrement. On ne bosse pas de la même façon. Là, on travaille sur le prochain album et on a hâte de rentrer en studio. Ça sera le 11ème album de Lofofora : il devrait sortir début 2024.

Caroline Vannier

Kemar, chanteur de No One is Innocent

No One is Innocent est un groupe emblématique des années 90. Des textes engagés, un son neuf, une énergie qui explose sur scène… À une époque où la fusion est reine, ils font un démarrage remarqué. Ils ont à peine vingt ans quand ils sont programmés aux Transmusicales de Rennes en 1993 (deux ans après Nirvana). Après ça, tout s’accélère… L’année suivante, ils signent leur premier album : No One is Innocent puis l’excellent Utopia en 1997. Deux réussites qui allient maîtrise technique et renouveau artistique : « La Peau » et « Nomenklatura » sont des morceaux si percutants qu’ils resteront d’actualité pour au moins les vingt années à venir. Mais quand on a connu de tels débuts, comment continuer à se construire en tant que musicien ? En 2019, le groupe est toujours là, assumant deux vies. À part Kemar (au chant), les membres de No One ont changé de visages mais le line up actuel est le même depuis quinze ans. Une stabilité qui aboutit aux très bons Frankenstein et Propaganda. Guitares en avant, ambiance rageuse… L’efficacité des riffs et de la rythmique portent avec authenticité les textes de Kemar. Une approche sans concession qui prend tout son sens en live. Et il est vrai que le frontman ne lâche rien, plus que jamais fidèle à ses engagements. Une ligne de conduite qui contribue à renforcer l’identité forte de No One. Mais qu’est-ce qui fait que la passion est toujours là ? Comment cultiver cette énergie sur scène ? Le samedi 9 novembre 2019, quelques heures avant son concert à Chateaugiron, Kemar a accepté de répondre à une dizaine de questions. Un entretien court mais qui apporte de belles réponses. La parole est donnée à un artiste indépendant qui trace sa route.

1 – Pas de musique sans message politique ?
Non, pas forcément. C’est pas parce que l’image de ton groupe est très engagée dans le texte que tu ne dois faire que ça. C’est aussi une bouffée d’oxygène de faire autre chose. Dans Frankenstein, il y a par exemple la chanson « Ali »: on prend beaucoup de plaisir à la jouer sur scène.

2 – Toujours fans des Sex Pistols ?
Ouais, ça reste un groupe important. Notre groupe vient de là (le nom du groupe est le titre d’un single des Sex Pistols). On aime le côté foutraque des Pistols mais on est plus dans la veine de The Clash pour la carrière. Les Pistols, ils ont marqué l’histoire ! Ils ont quand même sorti un album intemporel.

3 – Le son studio de Nomenklatura sur Utopia est très spécifique. De quelle façon la jouez-vous sur scène ? Comment l’abordez-vous à deux guitares ?
Il y a toujours une boucle derrière et une guitare qui reproduit le plus fidèlement possible le son de cette cithare électrique : celle qu’on avait utilisé pour l’enregistrement. L’idée est de rester le plus proche possible de l’originale.

4Sur vos derniers albums, le son est plus brut, plus incisif. Comment travaillez-vous aujourd’hui ? Quel est le point de départ d’une compo ?
Le groupe est stable depuis quinze ans. À part Popy à la guitare, ce sont les mêmes personnes. Cette stabilité, c’est aussi ce qui fait la force des deux derniers albums. On a essayé beaucoup de choses. Il y a un album qui a un peu moins marché que les autres mais ça nous a permis d’avancer. On s’est toujours demandé ce qui est bon pour le groupe : on se retrouve autour de ça.

5 – À l’international avec des groupes comme Nirvana, Rage Against the Machine ou encore Snot… En France avec vous, Lofofora, Silmarils, Mass Hysteria… Dans les années 90, la fusion et le grunge explosaient. Vingt-cinq ans après, quel regard portez-vous sur ces années ?
C’était des années géniales. Une créativité hors du commun en terme de son, d’attitude, de textes… La musique, c’est cyclique. Cette période, elle révoltait, elle enthousiasmait.

6 – Tes textes sont clairs, engagés et sans concession. Est-ce que tu penses à ta façon de les interpréter en les écrivant ?
Oui, clairement. Ça va de paire. C’est un gros travail d’écrire en Français. Tout doit être cohérent. J’écris des textes seul et avec mon pote Emmanuel de Arriba. Il faut absolument le citer, c’est quelqu’un d’important pour moi. L’écriture, c’est une étape exigeante et tant mieux. Il faut que la musique nous raconte une histoire.

7 – Techniquement, la chanson La Peau est un régal en terme de ruptures et de contretemps. Est-ce que vous vous permettez d’improviser certains passages en live ?
Non, c’est un morceau qui se suffit. Depuis un moment, il y a quand même une extension en concert mais c’est tout.

8 – La jeunesse emmerde le Front National, c’est encore vrai aujourd’hui ?
On s’en fout si c’est vrai ou pas. Pour nous, ce sont nos pires ennemis. Les Le Pen, ce sont des gens qui existent toujours mais on oublie qu’ils sont aux portes du pouvoir. Aujourd’hui, la jeunesse s’est scindée en deux. Certains s’impliquent dans l’écologie et c’est très bien mais il ne faut pas oublier les autres combats.

9 – En juin 2015 sort l’album Propaganda avec le titre Charlie. Le 13 novembre, la salle du Bataclan est frappée par les attentats. Le 30 novembre, vous faîtes un concert spécial avec Coco (dessinatrice chez C.H.) et Marika Bret (journaliste chez C.H.). Qu’est-ce qui se passe à ce moment-là ? En terme d’écriture, comment trouver les mots justes pour combattre l’impensable ?
On s’est dit que si on écrivait pas une chanson à ce moment-là, c’était une faute professionnelle. On se devait d’être là.

10 – Reuno s’en va, Kemar arrive… Vos impressions sur les premiers concerts du Bal des Enragés ?
C’est l’extase. C’est un joyaux ce collectif ! Une bande de gars sans égaux qui jouent leur son pour les autres. Hier, c’était la dernière de l’année et c’était émouvant. Je peux te l’assurer, on a eu du mal à se quitter.

Voight Kampff

Voight Kampff a ce petit truc en plus qui fait qu’il ne ressemble à aucun autre groupe. Des musiciens passionnés qui n’hésitent pas à réenregistrer leurs morceaux en studio quand ils remarquent « qu’ils ne vont pas dans le bon sens ». Des fans de science-fiction et de Metal qui se retrouvent pour développer un projet hors norme : faire un album basé sur l’œuvre Blade Runner. Des artistes courageux qui un an après le décès de leur guitariste, Mathieu Broquerie, remontent sur scène. Quelques heures avant leur concert du vendredi 13 septembre à l’Étage (Garmonbozia / I’m From Rennes), ils ont accepté de répondre aux questions de Metalorgie. Entre échanges autour de K. Dick et d’Azimov, les musiciens sont revenus sur la sortie de lexcellent Substance Rêve (label Sliptrick Records) : une réussite tant au niveau technique, qu’artistique. Un album cohérent et pointu qui laisse la part belle à l’imaginaire. Mais avant d’en savoir plus, une petite explication s’impose… Voight Kampff est la machine utilisée par les Blade Runners : policiers en charge d’arrêter et de déterminer si un individu est un répliquant ou non. Il faut croire que l’inspiration ne s’est pas tarie avec le temps… comme quoi, un simple nom de groupe peut se révéler porteur d‘un véritable projet.

1 – Motocultor, Hellfest, les 15 ans de Garmonbozia… Être sur un label donne-t-il accès aux grosses scènes ?
Z : pas du tout. C’est plutôt Garmonbozia qui nous a mis dans la prog des 15 ans et celle du Hellfest. Pour le Motocultor, on a gagné un tremplin au 4BIS. C’est comme ça qu’on s’est retrouvés à jouer là-bas.
Gaël : ça nous aurait peut-être pris plus de temps en autoprod.
Z : on ne joue pas beaucoup. Pas plus de 10 dates par an mais c’est un choix. On ne joue pas souvent mais ce sont toujours de belles scènes, dans de bonnes conditions.

2 – La pochette de l’album est signée Caza. Comment s’est concrétisé le projet ? A-t-il écouté les morceaux enregistrés en studio avant de vous proposer un visuel ?
Gaël : avec Mathieu, on cherchait mais ne trouvait pas un visuel qui nous correspondait. On l’a contacté, tout simplement. Et ça a collé tout de suite.
Z : il nous a envoyé 8 croquis avec le titre des morceaux. On lui en a précommandé 2 qu’il a enrichi et finalisé. C’est quelqu’un de très accessible. On est tous fans de S.F. et on voulait retrouver cette ambiance sur la pochette de l’album.

3 – Pyromancer, tu as remplacé Oliv à la batterie. Comment as-tu posé ton jeu ? As-tu pris en compte ce qu’il a fait sur l’album ?
P : les deux. J’ai beaucoup écouté l’album. J’ai gardé des éléments de la vision d’Oliv mais je voulais aussi mettre ma patte dans les morceaux. On a pas du tout la même façon de faire de la batterie. J’ai un jeu plus chargé, je remplis plus les espaces. Oliv a une approche plus épurée. J’ai eu beaucoup de liberté, les gars m’ont laissé faire ce que je voulais.
Z : il est aussi guitariste. Et ce qu’il a fait avec nos morceaux est très bon.
Moi : tu joues de la guitare dans quel groupe ?
P : dans Architect of Cult.

4 – Votre musique est à la fois très technique et hypnotique, comment composez-vous ? Dans un même morceau, faites-vous le choix de moment purement instru et d’autres plus propices à poser la voix ?
Gaël : pour le deuxième album, les morceaux ont été composé par Oli, Mathieu, moi et Z. On a tous participé.
Z : c’est pas une science exacte. Quand on se retrouve pour travailler ensemble, il y a des erreurs qu’on garde parfois.

5 – Vous n’habitez pas les uns à côté des autres, comment travaillez-vous ?
Z : c’est pas facile. On travaille beaucoup à la maison avec Cubase. On essaie de répéter au mieux une fois par mois. C’est clair qu’on ne peut pas arriver en répète sans connaître les morceaux.
P : on s’est bien trouvé aussi. On a vraiment de la chance que ça marche.

6 – Le nom du groupe, la thématique de l’album… L’univers de Philippe K. Dick est plus qu’une source d’inspiration pour vous. Les sujets développés par l’auteur sont-ils inépuisables ?
Gaël : son imaginaire est à son image. C’est fou quand même, il a imaginé des choses qui sont en train de se passer en ce moment. Après, sur Blade Runner, je pense qu’on a fait le tour avec l’album.
Z : on pourrait s’inspirer d’autres auteurs de S.F. comme Azimov.

7 – Les adaptations cinématographiques de K. Dick comme A Scanner Darkly ou Blade Runner (R. SCOTT et VILLENEUVE) sont-elles aussi sources d’inspiration dans votre travail ?
Z : le film de R. SCOTT, clairement oui. Il y a plusieurs lectures à voir. Celui de VILLENEUVE, j’ai bien aimé : l’esthétique, les acteurs, Ryan Gosling… c’était vraiment super mais la musique moins. Après, c’était pas la même magie, je ne le découvrais pas avec mes yeux de mino.

8 – Question K. Dick : selon vous, qu’est-ce que le réel ?
Z : oh là comme ça, c’est pas simple comme question.
Gaël : on a tous des perceptions de ce qui se passe. Par exemple, si j’étais à l’extérieur de cette scène, de ce qui se passe en ce moment précis, ça serait plus simple. Je serai plus objectif. En fait, il manque une dimension pour le définir.
Z : c’est pas mal comme réponse.
P : Ouais, c’est bien.

9 – En réalité, l’album a été enregistré deux fois. Vous n’étiez pas satisfaits de votre travail sur la première version, alors vous avez décidé de tout refaire. Une décision très courageuse. Faut-il arriver à une certaine maturité musicale pour être capable d’avoir ce recul ?
Z : non, c’est surtout le fait qu’on ne sorte pas beaucoup d’albums. On voulait quelque chose qui nous plaise. On a retravaillé le processus d’enregistrement.
Gaël : quand on travaillait sur la première version, on avait même l’impression que ça nous échappait.
Z : on savait que ces morceaux-là valaient mieux.

10 – Un groupe que vous écoutez toujours ?
Z : Death, l’album Symbolic.
P : Death, pareil.
Gaël : Coroner, n’importe quel album.

11 – Un mot sur l’hommage rendu ce soir à Mathieu Broquerie ?
Z : on est touché par cette attention. Pour nous, c’est encore délicat. Ce soir, on va penser à lui. C’était quelqu’un qui était vraiment très actif sur la scène rennaise.
Gaël : il arrivait toujours à bonifier les gens. C’est pas parce qu’il n’est plus là que je dis ça mais avec lui, on avait l’impression d’être meilleurs. On a l’impression d’avoir une partie de nous-même.

12 – Qu’est-ce qu’on vous souhaite pour la suite ?
Z : de bons concerts et des enregistrements. Jouer. Faire de la musique encore.
Gaël : de bons concerts avec Clément aussi. Il s’est beaucoup investi pour apprendre les morceaux.

Les Tambours du Bronx et Reuno en mode WOMP

Découvrir les coulisses d’un concert, c’est comme braver un interdit. On ne sait pas trop si on a le droit d’être là, alors on se fait tout petit pour ne pas gêner… et on profite du moment. Mais comment retranscrire sur papier ce qui se passe en backstage ? Quels éléments retenir pour écrire un article ?
Traiter l’aspect technique peut se révéler compliqué. Le matériel, les balances, la sonorisation… Pour s’atteler au sujet, il faut s’y connaître et être capable de vulgariser ses propos. Ce n’est pas à la portée de tout le monde… Reste l’ambiance. Traduire l’atmosphère avant un show est sans doute la meilleure approche. Mais là encore, ce n’est pas si simple… Raconter cet instant de flottement avant l’arrivée sur scène est hasardeux. Rendre compte de l’état d’esprit des musiciens, savoir ce qui les pousse à se dépasser soir après soir… Rien de cela n’est visible de l’extérieur. Tout se passe à l’intérieur du groupe et le badaud est bien incapable d’interpréter quoi que ce soit. Pour ne pas commettre d’impairs, la meilleure solution reste l’échange. L’interview est inévitable…. mais encore faut-il l’obtenir…
Les Tambours du Bronx ont accepté de se prêter à l’exercice lors de leur passage à Rennes. Présents depuis plus de trente ans sur la scène française et internationale, ces percussionnistes urbains se sont fait un nom. Véritables orfèvres, ils orchestrent des show à l’énergie brute. Des cogneurs, qui une fois lancés, ne lâchent rien ! Pour faire vibrer les bidons, pas moyen de tricher : le geste est ample, le visage est expressif… Ils mettent du cœur à l’ouvrage sans jamais faiblir. Une recette imparable qui rend leur jeu unique. Ce vendredi 5 avril, vers 18h30, ils terminent les balances. De nouveaux instruments trônent parmi les bidons : guitare, basse, batterie… Les Tambours du Bronx sont en mode WOMP : un projet Metal qu’ils portent depuis l’été 2018. Sorti le 19 octobre, l’album aux accents Indus prend toute son ampleur en Live : un son puissant couplé à une musique efficace. À aucun moment, la rage n’est contenue : au contraire, elle est portée par des textes engagés qui répondent comme un écho à l’énergie des bidons. En ces temps où la prise de risque se raréfie, l’approche est audacieuse ! Une véritable bouffée de créativité qui prouve que se réinventer a du bon. À moins de deux heures de l’ouverture des portes, certains musiciens peaufinent leurs réglages, d’autres se posent dans les loges… Pas mal d’allers et retours dans les couloirs : le batteur Franky Costanza – Dagoba, Blazing War Machine –, s’arrête pour saluer et discuter avec les gens de passage. Une partie des membres du groupe Flayed – qui assurent la première partie – font de même. La horde n’est pas encore lâchée mais elle est déjà dans l’ambiance du concert de ce soir. Quatre d’entre eux ont accepté de répondre à une dizaine de questions : Dom – qui passe à la guitare sur WOMP –, Will – aux Tambours – M’sieur Reuno au chant – Lofofora, Mudweiser, Madame Robert – et un invité surprise, Luc – aux Tambours –. Installés sur des flight-cases, l’interview commence en haut des escaliers du Liberté. Juste avant l’arrivée du public, l’instant semble assez irréaliste… et il l’est. Une parenthèse d’une trentaine de minutes avant l’effervescence.

1 – Comment se vit un partage de scène avec Sepultura ? Travailler avec eux a-t-il été l’élément déclencheur pour faire un album Metal ?
Dom : être sur scène avec eux, c’est une énorme claque. Sepultura, c’est violent mais Les Tambours aussi, alors les deux ensemble… Sur scène, on ressent vraiment toute cette grosse énergie. C’est quelque chose ! On a fait pas mal de dates avec eux, que des gros festivals.
Will : on a joué en Allemagne, au Portugal, au Brésil, à New-York…
Dom : ouais, et c’est vrai qu’en réfléchissant à un nouveau spectacle, on s’est dit pourquoi pas Metal ?

2 – Les Tambours, Reuno (Lofofora), Franky Costanza (Blazing War Machine, Dagoba), Stéphane Buriez (Loudblast)… Je ne les cite pas tous mais il y a du beau monde. Qui a eu l’idée de réunir tous ces excellents musiciens ?
Dom : Tout est parti d’une blague… Il y a quelques années, on avait dit à Franky « si tu t’emmerdes chez Dagoba, viens avec nous. » On s’est retrouvés plus tard et une fois qu’il a accepté le projet, on a contacté Reuno qui a proposé à Stéphane Buriez de nous rejoindre.
Reuno : je leur ai dit que j’étais pas dispo mais que je me débrouillerai pour l’être. J’avais envie de leur écrire des chansons, de bosser avec eux… Si j’avais refusé, je l’aurais regretté. Mais avec mes autres projets, je savais que je ne pourrai pas assurer toutes les dates, j’ai donc proposé un binôme avec Stéphane Buriez (Loudblast). Renato (Trepalium, Flayed) nous a rejoint aussi tout récemment au chant. Il sera d’ailleurs là ce soir.

3 – Les compos de l’album regorgent d’influences différentes. Un mélange qui sonne Metal, Punk, Rock et même Indus. Qui a posé les premiers jalons des compositions ? Comment s’est organisée cette phase de création ?
Dom : chez les Tambours, on écoute de tout. Niveau âge, le plus jeune a 25 ans et le plus vieux 60 ans. On représente tous des générations différentes et on se nourrit des influences de chacun. Pour ce projet, on est quelques Tambours à être passés à la guitare. On a commencé à composer de notre côté et les textes ont suivi avec Reuno et Stéphane.

4 – Voix, basse, guitare, batterie et pas mal de tambours… En studio, comment on obtient ce son limpide et puissant à la fois ?
Dom : on a tout bossé à la maison, dans notre propre studio. À force, on commence à avoir l’habitude d’enregistrer les bidons, on cherche à garder l’énergie même si on sait que ça ne sera jamais comme sur scène. Le mixage a aussi était très important, on a travaillé avec Hk Krauss (Vamacara Studio).
Reuno : avec Buriez, on a couché toutes les voix en deux jours. Tout s’est fait très simplement.

5 – Comment travaillez-vous avec Franky Costanza ? Face à une telle masse rythmique, est-ce à la batterie de s’adapter ?
Will et Dom : oui, clairement.
Dom : il s’est beaucoup remis en question. Il a su s’adapter, jouer avec les bidons en simplifiant son jeu. Il ne charge pas son jeu, n’en fait jamais trop… Il s’est parfaitement intégré aux Tambours.
Reuno : son jeu groove vraiment sur cet album.

6 – Reuno, comme dans Lofo, les textes percutes. Des mots engagés mais toujours emprunts de poésie. La société t’inspire mais as-tu des noms d’auteurs et/ou de musiciens qui t’ont aidé à façonner ton écriture ?
Reuno : je suis un peu old school… Le Professeur Chauron, Jean-Yann, Coluche… Claude Nougaro aussi. C’est un mec qui arrivait à faire des textes très percutants, le son des mots compte chez lui.

7 – Reuno, même dans tes reprises, l’interprétation est habitée. La force des textes est-elle le secret ?
Reuno : il faut le jouer à fond. Le studio, c’est comme le cinéma mais la scène, c’est comme le théâtre. Les gens doivent comprendre tout de suite l’interprétation.

8 – Au Motocultor, vous avez fait une prestation qui a scotché tout le monde. À aucun moment l’énergie n’était contenue. Derrière les fûts, Franky parle de « horde » et vu du public, c’est clair que la horde est bien là. Est-ce que vous abordez vos presta sur les plus petites scènes de la même façon ?
Dom : peu importe la scène. C’est la marque des Tambours ! On ne peut pas se freiner. L’identité des Tambours, c’est le côté horde. On ne fait qu’un avec le bidon.
Reuno : se freiner, ça serait comme courir au ralenti.
Luc : il faut penser puissance. Toujours.
Will : tu ne sais jamais comment va terminer le concert. On est épuisés mais on continu, on se soutient les uns, les autres.

9 – Vous êtes des musiciens libres. Garder son indépendance passe-t-il par une part de Do it yourself ?
Dom : oui et non. Il y a forcément un peu de DIY, c’est le secret de notre longévité et c’est vrai qu’on a pas mal gardé le contrôle même si on est entouré de professionnels. Mais je te dirai qu’aujourd’hui c’est de plus en plus compliqué d’être seuls.

10 – Se réinventer, un adage qui vous correspond ? Pouvez-vous nous parler de vos projets parallèles ?
Reuno : plus je vieillis, plus j’ai envie de créer. Le Rock est bien pour ça, c’est pas une musique confortable, ça nous pousse à aller vers de nouveaux challenges et artistiquement, ça me remplit. Le projet des Tambours me plaît mais j’ai aussi mon groupe de stoner Mudweiser (il montre son T-shirt). Je prépare aussi les textes du 11ème album de Lofofora. Et plus récemment, il y a Madame Robert.
Dom : on a toujours notre spectacle classique. On est en train de le revisiter : on revient avec un son plus percussion, toujours avec Franky mais avec un stand percu-électro cette fois. On a aussi un autre projet avec Will.
Will : je suis aussi batteur dans un groupe avec Dom mais là, on a pas le temps de bosser dessus. On espère y revenir dès qu’on pourra.
Dom : on travaille avec Apolline. C’est elle qui est au chant sur l’album pour la reprise de Prodigy.

11 – Un combat/un engagement qui vous semble prioritaire aujourd’hui ?
Reuno : l’environnement. Que les gens se responsabilisent et qu’ils arrêtent d’acheter de la merde. On a tous des enfants, il faut penser à la planète qu’on leur laissera. C’est la priorité.

12 – Deux noms de groupes et/ou de musiciens que vous écoutez toujours ?
Dom : oh, c’est compliqué comme question. Il y en a trop ! Là en ce moment, s’il faut t’en donner un, je dirai Prong mais j’écoute vraiment plein d’autres groupes. J’aime aussi beaucoup le Crossover mais on a une culture musicale très variée chez les Tambours, alors je pourrai te citer plein de styles et de références.

Denis Barthe

Rennes, vendredi 7 décembre 2018. De la pluie, du vent… et des passants qui courent pour s’abriter. Pas de chance… l’heure tourne et le mauvais temps redouble. Et puis, sans prévenir… l’éclaircie arrive. C’est le moment d’en profiter ! Le QG des Bars en Trans n’est pas loin… Situé sur une voie parallèle à la rue de Brest, l’endroit est discret : une façade grise, des gens qui discutent dans une arrière cour mais pas plus d’indication. C’est à l’intérieur, que tout se précise : avec une émission de radio en direct, un concert et des interviews, il règne ici une cacophonie organisée. Un rapide coup d’œil, un renseignement à la borne d’accueil… Ouf.. The Very Small Orchestra n’est pas encore là. Il n’y a plus qu’à attendre.
Vers 16h00, les musiciens font leur entrée et ils n’ont de small que le nom. Ils sont six et parmi eux, des visages connus : Vincent Bosler (The Hyènes…), Kiki Graciet (Niko EtxartCalvin Russell…) et bien sûr Denis Barthe (Noir Désir, The Hyènes, Mountain Men…). À peine arrivés, ils prennent place derrière les micros de C Lab et de Radio Campus Paris. Les questions des chroniqueurs défilent et d’emblée, le ton tranche avec le groupe précédent. Les musiciens sont plus francs, plus instinctifs… sans artifices. Leur musique, ils la définissent comme rock, presque cinématographique. Entre deux blagues, ils expliquent qu’ils sont allés là où on ne les attendait pas : « au départ, il n’y avait que Kiki et moi et puis, c’est devenu une grosse blague. On s’est dit, on invite des potes à faire un album et pourquoi pas faire un concert de temps en temps avec tous les gens qui ont participé et ça s’est développé comme ça », explique Vincent Bosler. « C’est la cour de récréation (…) oui, on se permet tout ce qu’on se serait pas permis dans nos groupes respectifs. (…) on est en mode Do it yourself et je ne devrai pas le dire mais jusqu’au troisième album, on avait pas une répète au compteur. On montait sur scène, on jouait et c’est ce qui plaisait à tout le monde », ajoute Denis Barthe. Et il est clair que quand on les voit sur scène, l’expérience est indéniable ! Avoir suffisamment de bouteille pour être capable d’improviser devant un public, c’est ce à quoi aspire tout bon musicien et ils le font. La liberté… et la musique comme acte politique, Denis Barthe est le premier à relever ces engagements : « on habite un pays où sur les mairies, il y a noté liberté, égalité, fraternité… ça commence par liberté et tous les jours, on t’en éteint une petite. » Des mots qui font sens et que le batteur clame depuis presque quarante ans. Avec Noir Désir, il s’exprimait déjà sans filtre : un franc-parler devenu presque militant dans la France d’aujourd’hui. Une façon d’être qui transparaît jusque dans son jeu de batterie… Précise, claire : sa frappe est sans concession et ses plans toujours justes. Une réelle identité rythmique qui colle parfaitement à The Very Small Orchestra et The Hyènes… et qui marquera à jamais les mémoires dans Noir Désir. Avec beaucoup d’honnêteté et de simplicité, il a accepté de répondre à quelques questions. Un moment volé entre deux interviews…

1 – La rencontre avec la batterie, un heureux hasard ?
J’ai rencontré mes potes dans une fiesta. J’ai discuté avec Serge en premier et il m’a montré un mec plus loin, c’était Bertrand, il m’a dit on va monter un groupe ça te brancherait ? J’ai répondu oui. C’est comme ça que le groupe a commencé. J’avais jamais touché à une batterie, je n’ai rien dit, j’avais envie au moins d’essayer. Je me suis entraîné comme un fou pendant quinze jours sur un kit acheté d’occasion et à la fin de notre première répète, Serge m’a dit « tu connais Highway to Hell » et là encore, j’ai répondu oui, on à terminé par ça je ne savais pas que c’était parti pour trente ans. Après, j’ai aussi la chance d’avoir un frangin qui aime la musique, ça m’a rendu curieux. Il jouait de l’orgue, avait aussi une belle collection de vinyles et ça a compté dans mon adolescence.

2 – Vous avez une frappe précise, percutante. Est-ce le fait d’avoir intégré tout de suite un groupe qui vous a permis d’acquérir une telle efficacité ?
Intégrer un groupe, ça aide. J’aime pas bosser seul. Je travaille si possible au moins avec un bassiste ou un guitariste. Quand je suis en solo, c’est pour travailler une technique précise ou un plan que j’ai en tête. Je peux aussi dire merci à deux producteurs : Ted Nicely et Ian Broudie qui m’ont beaucoup apporté. À la base, je suis un autodidacte et en bossant avec eux, ils m’ont poussé là où je ne serai peut être jamais allé. J’ai beaucoup appris, notamment à jouer avec le clic, à l’anticiper et contrôler ma frappe.

3 – Deux mots pour décrire un bon batteur ?
Quelqu’un qui sait avant tout écouter, qui a bien sûr du feeling mais aussi de l’instinct. Même avec une bonne technique, si tu ne transmets pas les bonnes sensations, ça ne donnera rien d’intéressant. 4 – Le matériel, c’est important pour vous ? Sur quoi jouez-vous ? Le matériel c’est du plaisir et il faut surtout trouver le kit qui te correspond. J’ai entre autre une Pearl, la même depuis 1996. Je suis surtout habitué à cette batterie, j’ai mon propre réglage et elle me convient parfaitement.

4 – Le matériel, c’est important pour vous ? Sur quoi jouez-vous ?
Le matériel c’est du plaisir et il faut surtout trouver le kit qui te correspond. J’ai entre autre une Pearl, la même depuis 1996.  Je suis surtout habitué à cette batterie, j’ai mon propre réglage et elle me convient parfaitement.

5 – Quel type de musicien vous inspire ?
Je suis attaché aux gens qui toute leur vie tracent le même sillon en essayant de le faire le mieux possible Des gens qui vont au bout des choses : les perfectionnistes.

6 – Si je vous dis Tostaky ?
Un grand souvenir. Un grand moment, et un grand virage aussi… On savait qu’il n’y aurait pas de Tostaky 2 on était allé au bout de quelque chose, ce qui allait suivre serait forcément différent.

7 – Dans vos concerts, vous aviez l’habitude de ne jamais faire la chanson Tostaky de la même façon.
On avait des approches différentes dans l’instant, c’est ce qui nous plaisait, la liberté de faire à toujours été vitale.

8 – Si je vous dis Les Têtes Raides ?
Ce sont des amis. Un très beau souvenir et une grande fierté d’avoir produit l’album Fragile. On les a connu en collaborant sur la chanson L’identité, nous avons tous bossé ensemble comme des vieux potes que nous n’étions pas encore et que nous sommes devenus.

9 – Quel souvenir gardez-vous de votre rencontre avec Alain Bashung ?
C’était quelqu’un d’infiniment gentil. Discuter avec Alain Bashung, c’était comme se balader dans un jardin luxuriant. C’était à la fois quelqu’un de très simple et un véritable artiste en recherche d’absolu, en un mot La classe.

10 – L’engagement faisait partie de l’identité de Noir Désir et vous n’étiez pas le dernier à vous exprimer. Aujourd’hui, qu’en est-il ? Quel est le combat qui vous semble prioritaire ?
Aujourd’hui, on devrait se battre avant tout pour la liberté, elle perd du terrain chaque jour. Le problème, c’est que le manque de solidarité gagne du terrain et l’individualisme ne mène à rien.

11 – Quand Albert Dupontel vous a contacté pour composer la B.O. de son film Enfermés Dehors. Avez-vous accepté tout de suite ? Comment s’est traduit l’exercice ?
Il m’a téléphoné pour me dire que le thème de son film était plutôt rock’n’roll et qu’il aimerait que nous bossions ensemble. A ce moment-là, il m’a vraiment redonné envie de jouer de la musique. On a travaillé en studio chez moi avec Jean-Paul Roy et Vincent Bosler directement à l’image, avec Albert. Il nous a dit ce qu’il voulait sur telle ou telle scène, on proposé des choses et le boulot s’est engagé. The Hyènes est né suite à la suite ça et le nom du groupe fait clairement référence à la scène culte de Bernie.

12 – Avez-vous envie de travailler avec d’autres réalisateurs ?
Oui, on a déjà travaillé sur un court-métrage qui s’appelle Desperadiou, on joue dedans, un hasard et des rencontres. On est ouvert à ce genre de propositions, c’est super intéressant.

13 – Le groupe The Hyènes, encore un heureux hasard ?
Oui en quelque sorte, une rencontre d’éléments incontrôlés et incontrôlables, on prépare un nouvel album, sortie et tournée en 2020

14 – Des groupes que vous écoutez en ce moment ?
Pogo Car Crash Control, Delgres, Gunwood et je réécoute aussi RL Burnside ces temps-ci.

15 – Un souhait pour les années à venir ?
Qu’on essaie tous d’être plus heureux, ça peut paraître con mais au fond qu’il y a t-il d’autre d’important ?

Henry Padovani

Rennes, jeudi 6 décembre 2018. Il est tôt mais les gens investissent déjà le Mondo Bizarro. Il faut dire que ce soir, Bruno a soigné sa prog. : il reçoit The Flying Padovanis, un groupe qui existe depuis 1981 et qui défend un son instru rock. C’est fluide, hors du temps… une musique avec une forte empreinte cinématographique qui pourrait s’inscrire sur la B.O. d’un film de Quentin Tarantino. Porté par une technique impeccable, Henry Padovani (The Police, Kim Wilde, Wayne County & the Electric Chairs…), Paul Slack (Uk Subs…) et Chris Musto (Kim Wilde, Nico, Joe Strummer, Glen Matlock, Johnny Thunders…) sont les dignes représentants d’un son qui ne vieillit pas. Ça sent le concert mémorable, non ? Oui, sauf que le batteur n’est pas présent. Sortant tout juste d’une opération, il est remplacé au pied levé par Thomas, un jeune musicien qui n’en revient toujours pas d’être là. Dans la loge, Henry Padovani discute à la cool. Guitare sur les genoux, il parle gratte avec les membres de Wolfoni qui assurent la première partie. L’ambiance est détendue. Pas de stress ici, la musique fait partie du quotidien. Pendant l’interview, Henry raconte tout : ses premiers années à Londres, sa rencontre avec Sting, son travail de producteur chez IRS Records… Beaucoup de franchise et de sagesse dans ses propos… et toujours les mots justes quand il cite ceux qui ont croisé sa route. Les musiciens, les amis… tout se mêle. Les gens avec qui il joue, il les connaît depuis presque quarante ans : une confiance totale qui fait toute la différence. Oui, le musicien excelle dans son art mais tout prend sens quand il donne la réplique à Paul, Chris… ou Sting. Aujourd’hui, moins de dix minutes avant d’entrer en scène, Henry déconne avec Paul, son complice de toujours. Profiter de l’instant présent, jouer devant un public qu’il ne connaît pas… Le live, il n’arrêtera jamais. Apprendre non plus. Se perfectionner encore et encore… Seuls les Grands ont cette volonté de peaufiner leur technique à l’infini. Affûter, faire mieux, aller au bout de sa passion… Un regard tourné vers l’avenir qui donne une bonne leçon d’humilité. Est-ce là le secret de son talent ?

Interview en solo

1 – Vous avez commencé la guitare à 14 ans, qui vous a inspiré ? Comment avez-vous commencé à jouer ?
J’étais en vacances chez ma grand-mère et je m’ennuyais. On était au lit à 21h tous les soirs. Je lisais un « Bonne soirée ». Tu connais ? Je fais non de la tête.
Dedans, il y avait un encart sur « Apprendre la musique sans peine ». J’ai essayé en jouant sur la guitare que m’avait offert mon oncle. Il avait dû me l’offrir à 9 ans mais je n’y avais jamais touché jusque là.

2 – Pourquoi être parti à Londres ? C’est la musique qui vous a attiré là-bas ?
J’ai rencontré un anglais qui m’a dit d’y aller, qu’il pouvait m’héberger. J’étais juste parti en vacances. Je devais y être pour 15 jours et j’y suis resté.

3 – Un souvenir marquant de cette époque ?
La première fois que je suis allé dans un club. À cette époque, j’avais les cheveux longs et une barbe : j’étais un hippie. Quand je suis entré, c’était le choc. Le lendemain, j’ai changé de look, j’ai tout rasé.

4 – The Police avait un côté plus rock, presque punk à ses débuts. Était-ce votre empreinte à
vous ou celle de Stewart Copeland ?
Stewart avait monté le groupe. À l’époque, il jouait dans un groupe progressif qui avait pas mal de succès et il savait exactement ce qu’il voulait. Avec The Police, il avait tout prévu et j’ai suivi. Il est allé chercher Sting qui voulait faire du jazz-rock mais à ce moment-là, il n’avait pas d’autres projets. Il nous a rejoint et ça a commencé comme ça.

5 – Vous avez été directeur et vice-président de IRS Records. Dans quels projets vous êtes-vous le plus investi ?
Henri : The Fleshtones, Concrete Blonde… Tout le monde a dit que j’avais signé REM mais c’est faux. Mais oui, IRS Records les a signé : on voulait vraiment que ça marche et c’est ce qui s’est passé.

6 – Que pensez-vous du paysage musical actuel ?
Aujourd’hui, j’écoute surtout des morceaux que j’ai envie d’étudier. En ce moment je travaille du JB Lenoir. Je n’ai jamais eu le temps de le faire et là, je le prends.

7 – Et en France ?
Je ne sais pas. Je ne connais plus. Avant, j’écoutais pas mal de groupes mais plus maintenant. J’ai quand même parfois de bonnes surprises : je suis tombé sur un groupe les Cinq Oreilles. Très bon !

8 – Un mot pour définir ce qu’est un bon musicien ?
Quelqu’un qui est bon à ce qu’il fait. John Lee Hooker, il ne fait qu’un seul accord mais qu’est-ce qu’il le fait bien ! Radiohead, par exemple. Ils sont très bons dans leur domaine mais je suis pas sûr qu’ils pourraient faire autre chose.

9 – Un événement marquant de votre carrière ?
Le prochain concert.

10 – Un mot sur le concert du 12 novembre 2016 au Bataclan, avec Sting ?
C’était un moment que je devais partager avec lui. Je crois qu’il voulait vraiment qu’on soit ensemble. Être là tous les deux. Dans le public, les gens avaient des portraits de ceux qu’ils ont perdu et Sting a su mettre une ambiance. Il a osé y aller, là où beaucoup ont refusé. La classe ! Oui, Sting a la classe !
Il s’arrête un moment et reprend.
Tu sais, avec mon fils, on devait aller au concert de The Eagles of Death Metal. Ce soir-là, j’ai préféré rester au chaud au coin du feu. Mon fils n’a pas bougé non plus.

11 – Quand on a vécu autant de vies, est-ce qu’on a encore des rêves à réaliser ?
Je fais beaucoup de concerts et j’ai encore envie d’en faire. Aujourd’hui, j’aspire à une vie tranquille avec ma compagne. Une vie simple.

Interview en duo

1 – Votre définition du rock ?
Henry : ce petit truc indéfinissable. Le style.
Paul : Henry.

2 – Depuis quand jouez-vous ensemble ?
Henry : 1981, 1982… Je crois que Paul a retrouvé une image d’archives…
Paul, le bassiste sort son portable et montre le visuel d’une vieille annonce. C’est celle à laquelle il a répondu quand il a intégré le groupe.
Paul : mars 1981.

3 – Le rock dans les années 80, c’était comment ?
Paul : c’était fou !

4 – Sans Cafés Concerts, pas de diversité musicale. Avez-vous un lieu de référence à nous faire partager ?
Henry : Chez Picolo (en Aveyron). Je pense à lui mais il y en a plein !

5 – Une rencontre qui a marqué l’histoire de votre groupe ?
Henry : Paul.

6 – Votre musique pourrait avoir sa place dans un film. Un film de Tarantino, par exemple. Vous êtes d’accord avec ça ?
Henry : complètement. Tu parles de Tarantino parce que tu es jeune mais avant, il y en avait beaucoup des groupes comme ça. Aujourd’hui, il n’y en a plus beaucoup. On est là pour faire vivre cette musique, montrer qu’elle existe. Et parfois, on est très étonnés… On est tombés sur un groupe – Les Infidèles – qui faisait des reprises de The Flying Padovanis.